Le cœur créatif de Rue Blanche

MARIE-CHANTAL REGOUT


Par un doux matin d’avril, nous sommes accueillis chez Marie-Chantal Regout, fondatrice de Rue Blanche. Tandis que la lumière du soleil filtre à travers les stores, nous nous installons dans un large canapé. La conversation glisse naturellement entre design et rituels paisibles du quotidien. Marie-Chantal raconte comment le jardinage — redécouvert à travers les yeux de ses petits-enfants — a renforcé sa passion, tout en évoquant son attachement à l’héritage britannique et l’intuition dans sa création. Au fil de l’échange, Marie-Chantal dresse la table pour le déjeuner, rejointe par ses filles, Aude et Astrid. Bien qu’elle leur ait transmis les rênes de Rue Blanche en 2017, elle reste très impliquée, dessinant encore les pièces en maille de la maison avec cette sensibilité instinctive qui a toujours façonné l’ADN de la marque.

Photographie par Cécile Hanquet

Entretien avec Merel Daemen

Vous avez fondé Rue Blanche en 1987 et vous concevez toujours les mailles de la marque. Qu'est-ce que vous aimez le plus dans le processus de création ?

Lorsque j'ai lancé Rue Blanche, je sentais qu'il manquait quelque chose dans le paysage de la mode. Les pièces en jersey de coton avec une certaine beauté et qualité n'existaient tout simplement pas de la manière dont je les imaginais. L'idée de les développer moi-même m'a attirée. C'est ainsi que Rue Blanche a commencé : avec la création de T-shirts et de pulls en coton raffinés.

Pendant les trois premières années, je me suis concentrée sur le jersey, et au fur et à mesure que la marque trouvait son public, je me suis diversifiée dans la maille et les pièces tissées. J'ai dirigé l'entreprise jusqu'à ce que mes filles reprennent la direction en 2017, mais je continue aujourd'hui encore à concevoir les pulls. La maille reste une activité particulièrement gratifiante, car elle me permet de créer des vêtements à la fois esthétiques et agréables à porter.

Pouvez-vous nous décrire votre processus de création ? Par où commencez-vous et quels sont les éléments qui vous importent le plus?

Tout commence toujours par une ressenti personnelle. Quelque chose que j’ai envie de porter, quelque chose qui me semble juste à cet instant. Ensuite, c’est le tissu qui guide le design. Sa texture, son poids inspirent les couleurs, les formes, le tombé, le volume. À partir de là, tout prend sens. Je termine par des détails subtils: une rayure, un bouton… Des touches discrètes mais essentielles, capables de rendre une pièce mémorable.

« Tout commence toujours par un ressenti personnel. Quelque chose que j'ai envie de porter, quelque chose qui me semble juste à ce moment précis. »

Y a-t-il des artistes en particulier qui ont façonné votre vision ?

Gabrielle Chanel, sans hésitation. Elle a bousculé les conventions d’une manière qui m’a profondément marquée plus jeune. J’admire aussi énormément le travail de Hans Arp et Sophie Taeuber-Arp — un couple d’artistes avant-gardistes. Il y a quelque chose de très beau dans cette idée de création à deux. Et puis, il y a Paul Smith, dont la vision de la couleur et du tailoring ne cesse de m’inspirer.

L’héritage britannique m’a également profondément marquée, notamment ses traditions lainières, ses étoffes, son tailoring et les tartans écossais. Quand on privilégie la qualité et qu’on respecte les matières, les vêtements traversent le temps. Je n’ai jamais adhéré à la culture du jetable, et j’admire la façon dont le savoir-faire anglais et écossais valorise la réparation et la durabilité.

Vous avez également une belle sélection de livres de jardinage. Avez-vous un style que vous préférez ?

Trop difficile de choisir! J’aime beaucoup le Jardin à l'anglaise, qui repose sur une plantation plus sauvage et abondante. Cela me semble plus naturel. L’approche picturale des bordures de Gertrude Jekyll m'inspire énormément, tout comme la manière dont Bas Smets superpose les paysages.

Le jardinage et la maille nécessitent tous deux une vision. Il s'agit de tout tisser ensemble, comme construire une toile d'araignée, où chaque fil se relie pour créer le résultat final.

Avez-vous toujours pratiqué le jardinage, ou est-ce une passion que vous avez découverte plus tard?

J'ai appris à aimer le jardinage depuis que j'ai mon propre jardin. C'est une pratique de patience et d'observation, et il y a un plaisir tranquille à voir tout s'harmoniser. J'aime l'acte de créer—cela me détend. Mais quelque chose a encore changé avec l’arrivée de mes petits-enfants. Passer du temps avec eux dans le jardin, leur apprendre à prendre soin de ce qui est vivant, a changé ma perspective. Voir tout cela à travers leurs yeux a rendu l'expérience nouvelle, comme si je la redécouvrais avec eux.

En arrivant, j'ai aussi remarqué beaucoup de gants de jardinage et des chapeaux d'extérieur. Êtes-vous une collectionneuse ?

Je suppose que oui, en ce qui concerne les gants. Chaque tâche nécessite des qualités différentes, donc il s'agit d'avoir l'outil adapté à chaque travail. J'ai environ huit paires, chacune ayant une fonction spécifique. Mais bien sûr, j'ai mes préférées (sourit).

Voyez-vous des parallèles entre le fait de s'occuper d'un jardin et celui de concevoir des pulls?

Absolument. Les deux requièrent une vision et une compréhension de l'interaction des éléments. Il s'agit de tout tisser ensemble, comme une toile d'araignée : chaque fil se connecte pour créer le résultat final.

Une maison est souvent le reflet des goûts de chacun. Comment abordez-vous la décoration, et qu'est-ce qui fait qu'un espace vous ressemble?

J'aborde la décoration comme tout autre processus créatif : en observant d'abord, puis en plaçant des éléments clés. C’est une construction, guidée par l’équilibre, les touches finales et une certaine aisance naturelle. J'évite la rigidité. Un espace doit se sentir personnel, façonné par l’instinct plutôt que par des attentes préconçues.

J'ai entendu dire que vous aimez recevoir vos amis et votre famille. Qu'est-ce qui rend un moment spécial pour vous?

Pour moi, les moments passés avec mes proches font partie de ma créativité. J’aime rire, partager, me souvenir et aussi profiter de moments de calme ensemble. Je préfère que tout soit simple et naturel, sans pression. L'essentiel pour moi est que les gens se sentent chez eux.